Le développement d’internet et des réseaux sociaux a favorisé l’explosion du nombre de cyberattaques par les « brouteurs ». Il s’agit d’escrocs qui arnaquent les internautes via de nombreuses plateformes.
Tout commence par un message sur internet. Les « brouteurs », dont le nom fait référence aux « moutons qui se nourrissent sans effort », laissent entrevoir la possibilité d’une magnifique histoire d’amour, d’un travail bien rémunéré ou d’un investissement prometteur. Et un jour, ils demandent de l’argent. C’est à ce moment précis qu’il faut couper court à la discussion.
Les brouteurs sont souvent des jeunes hommes, parfois mineurs, parfois diplômés, certains très doués en langue et en informatique. Beaucoup viennent de milieux défavorisés. Ils opèrent pour la plupart dans les cybercafés. Si le terme « brouteurs » vient de Côte d’Ivoire, les escrocs sont présents dans plusieurs pays, comme le Ghana, le Bénin, le Nigeria, le Cameroun. Leurs noms varient selon les pays (au Nigeria, les brouteurs sont appelés Yahoo-Boys, du fait de l’utilisation de l’adresse de Yahoo). Les motivations sont simples : devenir riche en soutirant le plus d’argent possible aux victimes. Ce fléau, qui a fait son apparition au début des années 2000, s’est amplifié au fil des années, et particulièrement pendant la période de la pandémie de COVID-19.
Un nombre d’arnaques en hausse au fil des années
D’après le média SenePlus, les autorités ivoiriennes évoquent une hausse de « dossiers de cybercriminalité », augmentant de 3000 en 2018 à 7000 aujourd’hui. La Côte d’Ivoire est devenue tristement célèbre en se distinguant comme la « capitale mondiale de l’imposture en ligne ». En 2023, un rapport de la plateforme de sécurité informatique KnowBe4 révèle une étude établie auprès de 800 personnes de plusieurs pays d’Afrique. La moitié des personnes a admis avoir été victime d’arnaques en ligne, de pertes d’argent, ou de substitution d’identité. Les conséquences de ces arnaques sont très graves. De nombreuses victimes se retrouvent endettées, d’autres voient leur identité usurpées. Les dégâts psychologiques sont conséquents. Ils durent plus de temps que la réparation liée aux pertes d’argent. Par honte, beaucoup de victimes n’osent pas porter plainte.
Les méthodes utilisées par les brouteurs
Les brouteurs utilisent plusieurs plateformes : les réseaux sociaux (Facebook et Instagram), où ils créent des faux profils, des fausses pages d’influenceurs, parfois des faux comptes de personnalités, à travers lesquels ils demandent de l’argent ou vendent des produits bidons. L’humoriste ivoirien Willy Dumbo a vu son identité usurpée par un brouteur sur les réseaux sociaux, un faux compte qui a été reconnaissable car le nom était mal orthographié. Il a rédigé un message d’alerte pour ses fans, précisant bien qu’il ne leur réclamerait jamais d’argent. Les messageries comme WhatsApp et Telegram peuvent être utilisées pour proposer des offres d’investissement un peu trop belles pour être vraies, des offres d’emplois avec des salaires élevés. Tous faux bien évidemment. Ils demanderont de donner des sommes pour des investissements, ou bien d’avancer des frais pour le traitement d’un dossier ou pour payer un entretien pour un job.
L’arnaque aux sentiments, la plus courante
Les brouteurs se servent également des jeux en ligne, des mails, et des sites de rencontres. La corde sentimentale est celle qui est la plus utilisée. Les brouteurs utilisent des faux profils, parfois des photos de vraies personnes (sans leur consentement), et rédigent en abondances des paroles d’amour, parfois des mois durant. À cet effet, de nombreux brouteurs peuvent passer plusieurs jours sans dormir, ou très peu, pour envoyer des messages en continu. Et un jour, ils sortent la carte fatale : un évènement qui fait vibrer la corde sensible et appelle les émotions. C’est à ce moment-là qu’ils demandent de l’argent. ⚠️
Comment se protéger des brouteurs et que faire en cas d’arnaque ?
Les règles les plus simples en cas de tentative d’arnaque sont de ne jamais envoyer d’argent, ne jamais communiquer ses données bancaires et ne jamais rien publier d’intime, qu’il s’agisse de ses données personnelles (risque d’usurpation d’identité) ou des photographies compromettantes (risque de chantage sexuel). Il faut également éviter de montrer des signes de « richesse » sur les réseaux sociaux. Les liens ne doivent être ouverts sous aucun prétexte. Dès la première demande d’argent, le mieux de couper court et de signaler le brouteur. Certains sites et applications ont des services dédiés. Il est recommandé d’utiliser des mots de passes sécurisés, de jeter les mails d’inconnus qui demandent ou promettent de l’argent, de privilégier les règlements sécurisés sur les sites de vente, de se renseigner sur les garanties, de se méfier des offres trop belles et d’installer un contrôle parental.
Les brouteurs demanderont souvent de changer de messagerie depuis une application, ce qui incite la victime à donner son numéro de téléphone. Concernant les arnaques aux sentiments, plusieurs signes peuvent alerter : l’avalanche de compliments, trop vite, trop tôt, les questions très personnelles. Parfois, il y a des incohérences au niveau de la conversation, car les brouteurs peuvent être plusieurs à discuter derrière un même profil. Ils seront également très inventifs quand il s’agira de trouver des excuses pour ne pas se montrer (caméra cassée, pas de réseau, ordinateur vieux). Dans d’autres cas d’arnaques, les brouteurs peuvent utiliser le chantage et l’anxiété. L’une des méthodes prescrite pour débusquer les faux profils est de faire une recherche inversée de la photo de profil en utilisant Google images, et l’onglet « recherche par image inversée ». En cas d’arnaque, il faut garder toutes les traces d’échanges avec le brouteur afin de constituer un dossier, et porter plainte le plus vite possible. En 2011, la Plateforme de lutte contre la cybercriminalité (PLCC) en Côte d’Ivoire est créée. Ils traitent les plaintes, enquêtent et procèdent à des interpellations. En 10 ans, le nombre de dossiers pris en charges est passé de 150 à 5000. En 2018, selon les chiffres de la PLCC, 89 cybercriminels ont été interpellés en Côte d’Ivoire, suite à 2860 plaintes. 5,5 milliards de francs CFA ont été retrouvés.
Brouteur.com : une série à succès et la chute d’un mythe de « réussite sociale »
Alain Guikou, le réalisateur de la série « Brouteur.com », tenait un cybercafé à Yopougon en 1998. Il explique qu’un de ses clients passait beaucoup de temps là-bas, le payant pour rester et pour venir 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Le client a fait fortune en arnaquant, et il est parti. Alain Guikou a commencé le tournage de la série en 2010, elle compte aujourd’hui 3 saisons. Il raconte que certains brouteurs veulent apparaître dedans, et que d’autres lui disent qu’il ruine leur business. Beaucoup de brouteurs sont fiers de lui raconter leurs histoires. Certains acteurs de la série ont rencontré des brouteurs, mais une des actrices dénonce les retombées qu’elle a subies, après avoir été accusée d’arnaque alors que c’est un brouteur qui a utilisé son image sur internet.
Si le broutage pouvait être perçu comme une réussite sociale au début des années 2000, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Il est de plus en plus considéré comme un vol, et les arrestations se multiplient. À partir des années 2010, de plus en plus de personnes reconnaissent la criminalité des arnaques, un sentiment amplifié par des révélations sordides selon lesquelles, des sacrifices humains sont accomplis lors de pratiques mystiques, afin que certains brouteurs « envoûtent » leurs victimes. Le broutage tombe peu à peu en disgrâce.