Le 27 mars 2023, une enquête est publiée sur l’assassinat d’enfants et d’adolescents au nord du Burkina Faso, impliquant des membres de l’armée burkinabè. Quelques jours après, plusieurs journalistes ayant participé aux investigations sont visés par une campagne de dénigrement, relayée par plusieurs sites d’information du Burkina Faso. Leur point commun : tous ces médias sont affiliés au Groupe Panafricain pour le Commerce et l’Investissement (GPCI) et ont été créés aux mêmes dates, faisant suite aux révélations de l'enquête. Le 30 mars, deux jours seulement après la parution de l’enquête et le raid informationnel à l’encontre des journalistes, deux d'entre eux sont expulsés du pays.
Le 1er avril, la chaîne YouTube Wadjey’s TV publie une vidéo de deux minutes, dénonçant et discréditant le travail de l'enquête. Le montage, finement orchestré, accuse l’Institut de recherche pour le développement (IRD) d’avoir fourni « d’importantes sommes d’argent censées payer des leaders de la communauté peule pour faire de faux témoignages ».
Le message est clair : la presse ne doit pas ou plus se mêler de trop près des affaires burkinabè.
Si la dégradation de la liberté de la presse inquiète, le nombre de sites ayant produit et relayé en masse des contenus dénonçant le travail des journalistes est alarmant. Qualifiés de « réseau de médias factices » par Reporters sans Frontières, ces sites d’information sont, en vérité, chacun l’œuvre d’un seul et même organisme : le GPCI.
Le GPCI, toile perlée de mensonges
Le GPCI est identifié comme un réseau de propagande, principalement basé sur les réseaux sociaux. Très actif au Burkina Faso, il a également tissé sa toile au Mali, au Togo, au Maroc et en République Centrafricaine. Sous couverture d’un organisme panafricain dédié au commerce, le GPCI est composé d’un réseau de faux comptes alimentés par des bots, ainsi que de faux sites d’information ressemblant en tout point à de véritables journaux. Via ces différents biais, l’organisme véhicule des contenus prétendument journalistiques, soutenus par une ferme de bots active, dont le but est de désinformer massivement les pays ciblés.
Harouna Douamba, vassal de l’influence Wagnérienne
Harouna Douamba, le fondateur du GPCI, est un homme d’affaires ivoirien d’origine burkinabé décrit par Reporters Sans Frontières (RSF) comme un « lobbyiste proche de la galaxie Wagner ». Selon le collectif d’enquête All Eyes On Wagner, chacun des organismes d’Harouna Douamba aurait été « financé par Lobaye Invest, la société historique du groupe Wagner en Centrafrique ».
Étroitement lié au groupe paramilitaire russe, c’est notamment en République Centrafricaine que l’homme a participé à des manœuvres de propagande pro-russe à partir du « Bureau de l'information et de la communication », un centre d'influence et de manipulation mis en place par les mercenaires. Ses activités en République Centrafricaine prennent fin en 2022 lorsqu’il écope d’une peine de deux ans de prison et fait l’objet d’un mandat d’arrêt international pour diffamation.
Surveillé depuis 2021, l’homme d’affaires ivoirien a depuis assisté à une suppression massive de ses comptes Facebook par le groupe Meta (Instagram et Facebook). Il avait alors fait face à des accusations concernant son implication dans la direction d’un vaste réseau de désinformation au profit des Russes.
À l’origine du GPCI, ANACOM
Avec le GPCI, l’homme n’en est donc pas à son coup d’essai. En 2018, c’est au travers du média ANACOM, lui-même lié à l’ONG Aimons Notre Afrique (ANA) (fondée par Harouna Douamba en 2011) qu’il a opéré des campagnes de désinformation.
Pour conduire des actions de manipulation de l’information, ANACOM s’appuyait sur une vingtaine de sites internet couvrant l’actualité ouest-africaine, dont les productions étaient majoritairement relayées sur Facebook. Au travers de ses « posts », Harouna Douamba s’est adonné à de la propagande pro-russe faisant ainsi vœu d’allégeance à ses mécènes.
Aujourd’hui, les liens entre le GPCI et ANACOM ne font aucun doute. Sur leurs sites, figurent les mêmes dirigeants et infrastructures. Après le démantèlement de ce dernier, le GPCI est donc devenu le nouveau cheval de Troie informationnel d’Harouna Douamba.
Un mode opératoire d’influence étrangère
S’appuyant sur un réseau de structures partenaires factices, les contenus du GPCI sont repris et boostés par d’autres organisations ; toutes créées par les « bots » d’Harouna Douamba.
La chaîne YouTube Wadjeys TV, une fausse chaîne d’informations, est un vecteur de dissémination des messages de propagande du GPCI. Lors de la révélation de l’existence d’une vidéo dans laquelle des hommes armés burkinabè assassineraient des enfants, la chaîne Wadjeys TV a posté une vidéo en réaction. Dans son contenu, la chaîne accuse des journalistes d’avoir créé de toute pièce la vidéo des exactions des forces armées. Cette vidéo, devenue rapidement virale sur les réseaux sociaux, vient s’ajouter au scandale lié à l’enquête publiée le 27 mars.
Mais, à qui le média appartient-il ? D’où émerge-t-il ? En tapant le mot-clé Wadjeys TV sur un moteur de recherche, les résultats renvoient vers une page Facebook et un compte Twitter du même nom. Sur sa page Facebook, le média est décrit comme appartenant à une société d’information et d’actualités basée à Ouagadougou, au Burkina Faso. Sur Twitter, en revanche, le média affiche une localisation au Ghana. Parmi ses uniques abonnements et abonnés, le GPCI. En parallèle, la Web TV interagit de temps en temps avec le GPCI sur son réseau professionnel LinkedIn. Enfin, sur son site internet, aujourd’hui désactivé, le Groupe Panafricain pour le Commerce et l’Investissement reprend et cite la phrase : « L’Afrique, berceau de I’humanité, a besoin de socle pour son équilibre et de lumière pour sa visibilité et son développement ». Cette même phrase figure dans la description du compte Twitter de Wadjeys TV. De toute évidence, le GPCI semble intimement lié à la Web TV.
Au travers de son immense réseau de faux comptes et sites d’informations, le GPCI s’auto-promeut également. La stratégie est simple : créer et relayer des informations en masse pour offrir l’illusion d’une vérité absolue.
Pour accorder davantage de crédibilité à ses sites factices, le GPCI utilise des noms de domaine à consonance journalistique, tels que « info », « actu », « express », « courrier » ou « nouvelle », similaires à des noms de domaine régionaux déjà existants (comme lome24.info, sahe24.info et burkina24.com). En revanche, aucun de ces sites ne possède de mentions légales, et plusieurs pages contiennent des erreurs. Certains sites comportent même des pages contenant des paragraphes de Lorem Ipsum.
Le recul de la liberté d’informer
En avril 2023, RSF a dénoncé les actions du groupe au Burkina Faso. À ce sujet, Sadibou Marong, directeur du Bureau Afrique subsaharienne de l’ONG déplore : « L'apparition de contenus dénigrant, avec des motifs fallacieux, des journalistes locaux et étrangers confirme le recul de la liberté d'informer. Cette campagne qui cherche à discréditer et à intimider les voix libres, menace le travail et la sécurité de tous les professionnels de l’information ». RSF dénonce notamment des procédés de désinformation utilisés pour intimider des professionnels au service d’une information fiable et libre. En mai 2023, Meta a procédé au démantèlement du GPCI, qualifiant ses actions d’« opérations d’influence secrète » .
Aujourd’hui, le site original du GPCI est inaccessible. Bien que son réseau ait été démantelé, Harouna Douamba et ses multiples structures prouvent à quel point il est difficile de se débarrasser totalement d’une mauvaise herbe. Certaines pages de substitution ont d’ailleurs déjà réapparu et les sites d'information affiliés qui ont déjà traité et relayé les informations diffusées par le GPCI sont toujours actifs. Agissant comme un vassal de la milice Wagner, Harouna Douamba a trouvé le moyen d’influencer l’Afrique de l’Ouest, incognito ou presque.