Ils sont des millions d’étudiants africains à partir à l’étranger notamment en Europe, aux Etats-Unis et en Asie, pour effectuer un échange universitaire. Leurs témoignages concordent pour dire qu’étudier loin des siens n’est pas une fatalité car les pays d’accueil ne dissocient en général pas les étudiants étrangers des leurs. Si certains de ces étudiants regagnent leur mère patrie, d’autres préfèrent s’installer définitivement dans les pays hôtes, parfois contre leur gré.

Les conditions d’insertion professionnelle en Afrique ne favorisent pas leur retour. C’est du reste l’essentiel des témoignages d’Aboubacar Zerbo, Adja Maïmouna, Michaël Bationo et Noëlla Christelle Nanema. Cependant, que disent-ils de leurs pays hôtes, respectivement la France pour les deux premiers, le Japon et la Russie pour les deux autres ?

Les études en France


Après six ans en France, en passant par le Maroc et le Sénégal, Aboubacar Zerbo est formel que le pays de Charles De Gaulle, loin de ce qui se dit au sein de l’opinion publique en Afrique de façon générale et singulièrement au Faso, n’est pas un pays hostile ou raciste. Pour ce jeune burkinabè qui a étudié à Bordeaux puis à Bayonne, et qui a travaillé à Total Paris puis à Caterpillar, le peuple français s’identifie par l’hospitalité, la rigueur, le travail bien fait, la méritocratie, le tout dans une simplicité qui impose un bon climat de travail. « Il ne faut pas confondre la France politique à la France géographique, le peuple français. L’étudiant français, le paysan français, l’ingénieur français, n’ont rien contre l’Afrique [...] Ils sont hospitaliers, je n’ai pas eu de problème durant mon séjour. On va dire par exemple que le Burkina est un pays de misère, d’insécurité et tout, qu’il faut aider…».

« Il appartient donc à nos autorités et à nos médias de présenter une bonne image de nos pays », a confié le doctorant en ingénierie logistique.

Ce témoignage d’Aboubacar Zerbo est confirmé par Adja Maïmouna Konaté qui a également étudié en France. Partie également sur fonds propres, elle s’est inscrite, à ses frais, dans une école privée européenne pour se former dans le domaine du commerce. Cependant, elle trouve que la vie est assez dure en Europe. « Je faisais un job étudiant, mais il fallait l’aide de mes proches car ce que je gagnais, c’était juste pour du shopping. C’est vrai que je n’étais pas dans une situation si difficile, mais j’ai vu des gens qui n’avaient même pas où dormir. C’est extrêmement difficile, surtout en hiver… J’ai eu à héberger beaucoup de gens » a-t-elle confié. Et le plus intéressant, ce n’est pas qu’en France ou encore qu’en Europe que cet accueil est réservé aux étudiants africains.

Un séjour universitaire au Japon

Michaël Bationo,est boursier ABI (African Business Initiative) de l’Ambassade du Japon au Burkina, qui est également passé par le Sénégal avant de terminer son cursus au Japon, arrive au même constat. Pour lui, la difficulté majeure pour les étrangers en terre nipponne est liée à la langue. De son séjour au Japon entre 2018 et 2020, le fils du Faso retient un choc dû à la différence des réalités socioculturelles entre les deux pays. « Quand on est arrivé à l’aéroport, je me suis rendu compte que c’est le jour et la nuit. Il y a beaucoup de coutumes à respecter au Japon […] C’est un manque de respect que de venir en retard, venir à l’heure déjà est un manque de respect car le cours commence à l’heure pile indiquée. […] La barrière de la langue aussi, mine de rien, ils ne sont pas nombreux à parler l’anglais. Ceux qui se sont complètement intégrés sont ceux qui ont fait l’effort de parler japonais. Avoir des notions de base était vraiment le plus qui permet de s’intégrer facilement. Il faut dire que la bourse aussi nous aidait beaucoup. Il y avait des sessions de formation qui étaient organisées de temps à autre pour vraiment nous initier aux cultures japonaises, nous apprendre d’autres notions […] Dans mon cas, tout le monde avait l’obligation de rester sur place. La bourse couvre tous les besoins, il n’est pas permis de faire de travaux parallèles avec les études». Michaël Bationo est rentré au pays avec un master en relations internationales et un certificat en culture et développement japonais. Le temps passe, mais les conditions de vie et d’études restent les mêmes pour les étudiants africains dans le reste du monde.

Les études en Russie

Christelle Nanema est partie en Russie pour poursuivre ses études en pharmacie, sur fonds propres à l’instar d’Adja Maïmouna Konaté. Elle a néanmoins réussi à obtenir une bourse grâce à ses résultats scolaires. Après une année d’initiation à la langue russe, elle a entamé des études en pharmacie à l’Université de Belgorod. Même si le froid slave fut relativement épuisant pour elle au début, elle s’est relativement bien intégrée à son nouvel environnement.

« Il y a une Russe qui a demandé à toucher ma peau, il n’y a pas de traites racistes, non. Je suis d’accord que l’expérience peut être différente pour d’autres personnes », a-t-elle assuré.

Au campus, l’année d’initiation à la langue russe ne lui a par permis de combler ses lacunes linguistiques. « Après, je me suis rendu compte que l’année de langue n’était que la maternelle. En première année, c’est tout autre chose. Les professeurs sont quasiment tous russes, la rapidité, c’était très dur. Je me souviens qu’il arrivait des fois où je voulais abandonner. […] Et au fur et à mesure que les années passent, ils attendent beaucoup de notre part, un progrès linguistique ». En Russie, chaque étudiant étranger a un mentor, un tuteur qui est chargé de le suivre, de l’orienter et de l’accompagner. « Quand on a un souci, on va les voir. Lorsque le visa doit expirer par exemple, il te rappelle pour que tu te rendes au service des migrations. En tant qu’étudiant, on a un visa étudiant qui doit être renouvelé en fait ». De retour au Faso pour ses vacances en 2021 et 2023, elle n’a pas échappé au choc dû à l’écart entre sa société d’origine et celle d’accueil. Un désordre ouagalais qu’elle comprend et lie au faible taux d’alphabétisation. Toute chose qui l’encourage à se battre davantage afin de faire bouger les lignes en Afrique dans un futur proche.


Dans l’espoir de mettre leurs compétences au service de leur patrie, Aboubacar, Adja et Michaël sont tous revenus au Faso. Quant à Noëlla, l’une des conditions de son admission à la Belgorod State University est le retour dans son pays d’origine à la fin de ses études. Bien consciente de cela, elle s’y prépare même si, au Burkina Faso, rien ne lui est réservé d’office sur le plan de l’insertion professionnelle.

« Au Burkina, aucune compagnie n’est déjà entrée en contact avec moi, absolument rien. Il n’y a pas non plus de pharmacie qui m’attend. Pour l’instant, je n’ai aucune proposition ».

Une fois son diplôme en poche donc, Noëlla devra se livrer à une autre bataille, celle de l’insertion professionnelle. Et cette bataille, Aboubacar Zerbo, Adja Maïmouna Konaté et Michaël Bationo ont également dû la gagner. En dépit de leurs compétences et de leur bonne volonté, ils ont connu les dures réalités du monde de l’emploi au pays des Hommes intègres. « Au Burkina, j’étais un peu déçu parce que je n’ai pas retrouvé cette rigueur, cette ponctualité, cet esprit méthodique et cette méritocratie qu’a l’homme blanc, cela nous manque ici. Je n’ai pas de parent en France mais, j’ai travaillé à Total siège. Et je viens chez moi en 2016, pour postuler dans une entreprise et on me demande ‘‘qui t’a envoyé ici ? qui t’a recommandé ?’’. […] Et le pire, aujourd’hui encore, mes élèves me disent qu’ils sont allés pour postuler et on leur a demandé qui les a envoyés… », se désole Aboubacar Zerbo. Inscrit en thèse de doctorat en France, cet enseignant est d’abord passé d’un contrat à un autre dans différentes entreprises avant de se consacrer entièrement à l’enseignement de la logistique au sein d’universités et d’instituts privés.

Adja Maïmouna Konaté pour sa part, handballeuse depuis son cycle secondaire, poursuit sa carrière sportive tout en guettant les opportunités de travail dans le domaine de la communication événementielle et du journalisme sportif. Aussi, met-elle en application la formation reçue en commercialisant diverses marchandises. Elle confirme les difficiles conditions d’obtention de travail des diplômés arrivant de l’extérieur sur la base des expériences de ses proches.

Quant à Michaël Bationo, son carnet d’adresses comme ceux de ses parents et proches, assez fournis, n’ont pas suffi pour lui décrocher un travail à temps plein dès son retour. C’est après neuf mois de recherche qu’il a obtenu le poste de chargé de projets dans une organisation non-gouvernementale (ONG) basée Ouagadougou, poste qu’il occupe encore aujourd’hui. Avec ses camarades revenus du Japon, ils ont mis en place une association dénommée « Kakehachi » dans le but d’accompagner les étudiants postulant pour la bourse japonaise et d’offrir un cadre d’échanges, de partages d’expériences et d’opportunités entre eux. C’est en effet un pont entre le ministère des affaires étrangères burkinabè et l’Ambassade du Japon au Burkina en faveur des anciens boursiers nippons.


Essentiellement, Aboubacar Zerbo, Adja Maïmouna Konaté, Michaël Bationo et Noëlla Christelle Nanema souhaitent que l’Etat burkinabè mette en place un processus de suivi des étudiants, surtout ceux boursiers, afin que les compétences que ceux-ci acquièrent à l’étranger servent significativement au développement du pays. « Sur 20 de mes promotionnaires qui sont rentrés au pays, 15 sont repartis du fait qu’ils ne trouvent pas ce qu’ils veulent faire au Burkina. Je connais des camarades de Toussiana qui ont fait des études en informatique de pointe, qui travaillent aujourd’hui dans des entreprises de fabrication de voitures, de drones et autres, et ce, bien avant même la crise sécuritaire. Actuellement le pays paie chèrement des drones et l’armement. Et cela n’a pas commencé aujourd’hui, mais qui perd ? L’Etat burkinabè qui le plus souvent s’investit pour offrir des bourses aux étudiants mais sans le moindre suivi. On a des Burkinabè qui sortent des universités occidentales avec des spécialisations qui n’existent pas au Burkina. Il est mieux, de mon point de vue, que l’on puisse associer et conjuguer ces talents pour les exploiter à bon escient. Un étudiant qui va par exemple en France, on doit savoir ce qu’il va faire et l’importance de ce qu’il fait pour le Burkina dans 5 ou 10 ans », recommande Aboubacar Zerbo qui dit nourrir des ambitions politiques dans l’optique d’intégrer le cercle des décideurs et impulser un changement.

Par Yann Eljoenaï Zoungrana