A ce jour, quatre candidats ont été officiellement désignés pour concourir à l’élection suprême. La campagne électorale qui s’ouvre suscite cependant des inquiétudes quant à sa sincérité. La désinformation latente pourrait influencer le résultat final.

Le 12 avril au soir, le Gabon aura un nouveau chef de l’État. Il aura été démocratiquement élu parmi les quatre candidats qui ont été officiellement retenus le 9 mars par le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, Hermann Immongault, par ailleurs président de la Commission nationale d’organisation et de coordination des élections et du référendum (CNOCER). Parmi les personnalités en lice figurent Brice Clotaire Oligui Nguema, actuel président de la transition et tombeur de l’ex-président Ali Bongo ; Alain-Claude Bilie-By-Nze, ancien Premier ministre d’Ali Bongo ; Stéphane Germain Iloko, médecin et ancien cadre du Parti Démocratique Gabonais (PDG) et Joseph Lapensée Essingone, juriste et inspecteur des impôts.

Liberté de la presse au Gabon : un chantier inachevé

Dans cette étape clé pour l’avenir du pays, des voix s’élèvent déjà pour anticiper et dénoncer d’éventuelles dérives. Ainsi, la désignation des quatre candidats suscitent des réactions de certains commentateurs qui dénoncent le manque de transparence du ministre de l’Intérieur qui n’a pas précisé les motifs de rejet des 19 autres candidats. Ce manque de clarté alimente la suspicion de manipulation, favorise les rumeurs et ouvre la porte à la désinformation.

Cette situation est d’autant plus préoccupante que les promesses du gouvernement de transition ne semblent pas avoir été toutes tenues. En effet, lors de sa première rencontre avec la presse le 3 septembre 2023, après le coup d’État contre Ali Bongo, le général Nguema s’était dit « prêt à faciliter le travail des journalistes », parfois difficile sous le gouvernement déchu. L’émergence d’une presse libre et indépendante reste un chantier inachevé au Gabon, notamment en raison des sanctions parfois jugées excessives de la Haute Autorité de la Communication (HAC)*, l’organe de régulation des médias, souligne une étude du journaliste et communicant gabonais, Boursier Tchibinda.

Intitulée « Transition au Gabon, entre désordre informationnel et Fake news », elle établit un état des lieux en demi-teinte de la liberté de la presse dans le pays, quand bien même le Gabon est remonté en 2024 à la 56e place (sur 180) du classement de Reporters sans frontières. Il occupait la 94e place en 2023 et se place en sixième position des pays africains derrière la Mauritanie, la Namibie, l’Afrique du Sud, le Ghana et la Côte d’Ivoire. Le Gabon n’a pas à rougir de son pluralisme journalistique avec 80 périodiques en presse écrite, une vingtaine de chaînes de télévision, une importante couverture radio et un essor considérable de sa presse numérique.

Onde de choc des fake news

A travers son étude, Boursier Tchibinda veut sensibiliser l’opinion contre « le désordre informationnel » ambiant que constituent notamment la désinformation (manipulation), mésinformation (fausses informations) et la mal-information (information tronquée sur des bases vraies ou vraisemblables). Se livrant à une analyse plus fine à travers une enquête menée auprès de 500 individus, il a repéré que plus du tiers de la population gabonaise était exposé « quotidiennement » aux fake news, notamment à travers le bouche-à-oreille (57 %) qui s’étend ensuite aux réseaux sociaux (Facebook-88,7 % et WhatsApp-76,5 %). Les sujets les plus exposés et les plus récurrents aux fake news concernent avant tout les annonces de recrutement et la politique, qui concentrent à eux seuls 69 % des cas.

En termes de désinformation et de fausses nouvelles, le Gabon affiche un niveau d’exposition comparable à celui de nombreux autres pays. Chacun garde en mémoire les récentes fausses informations ayant circulé çà et là. Parmi elles, l’épisode de René Ndemezo’o Obiang en mai 2023, alors ministre d’État en charge de la Consommation et de la lutte contre la vie chère. Ce dernier avait été la cible directe d’une fausse nouvelle annonçant sa mort, provoquant une véritable onde de choc sur les réseaux sociaux gabonais. Il était rentré quelques jours plus tard à Libreville de son séjour au Maroc. Il avait été accueilli par des membres de son cabinet, de son service de sécurité et de sa famille, à l’aéroport international Léon-Mba.

En juillet 2024, c’est le quatrième vice-président de l’Assemblée nationale, Geoffroy Foumboula Libeka qui avait dû démentir une fake news qui annonçait que « l’organisation et le dépouillement de toutes les élections se feraient par le ministère de l’Intérieur », les urnes « devant voyager jusqu’au siège du ministère où l’harmonisation se fera sans regard des populations » ! Ce ne sont que deux exemples emblématiques parmi d’autres.

Limiter le désordre informationnel

Ce sont ces dérives que dénonce aussi Stive Romeo Makan, le rédacteur en chef de Kongossanews.com, cité par Boursier Tchibinda. Il met en garde « contre les nombreux activistes qui, ne résidant pas au Gabon pour la plupart, livrent des informations assez dangereuses et souvent de nature à jeter le discrédit sur les autorités de la transition et donc du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CRTI) ». C’est pourquoi, Boursier Tchibinda émet sept recommandations dans son rapport, qui vont de l’harmonisation du code de la communication à la mise en place d’un observatoire national des médias (détail dans l’encadré ci-après), afin de limiter le « désordre informationnel » du pays et de livrer une information vraie, précise et de qualité. Cependant, d’ici le résultat des élections le 12 avril, une recrudescence des fausses informations, des rumeurs, des communications à la fois ciblées et tronquées, de quelque origine que ce soit, est à redouter.

(*) Parce qu’elle est jugée comme manquant cruellement d’indépendance, les commentateurs lui ont donné le sobriquet de “hache”