Un projet de loi en cours au Nigeria
Au Nigeria, un projet de loi visant à modifier la Nigeria Data Protection Act de 2023 a franchi une nouvelle étape. Ce texte impose aux plateformes de médias sociaux et aux blogueurs d’installer des bureaux physiques dans le pays. Le projet a passé avec succès sa deuxième lecture au Sénat. Il est porté par le sénateur Ned Nwoko, représentant de la circonscription de Delta North.
Dans une déclaration à l’Agence de presse du Nigéria (NAN), le sénateur a précisé :
« Il est temps de prendre le contrôle de notre espace numérique. Ce projet de loi n’est pas contre les entreprises, il est pour le bien du peuple nigérian. Quiconque dit le contraire n’est pas honnête. »
Selon lui, l’absence de bureaux physiques pour des plateformes comme Facebook, X (anciennement Twitter), Instagram, WhatsApp, YouTube, TikTok et Snapchat entraîne plusieurs problèmes : délais dans le traitement des plaintes des utilisateurs, mauvaise régulation, désinformation, modération inefficace, manque de partenariats locaux. Il estime que ces entreprises manquent de compréhension du contexte nigérian, ce qui crée une déconnexion entre les utilisateurs, les autorités et les plateformes.
Les législateurs soutiennent qu’une présence locale favoriserait aussi la création d’emplois dans les domaines du service client, de la modération de contenu, de la conformité juridique ou du marketing. Elle permettrait également un transfert de technologie bénéfique aux professionnels nigérians du secteur numérique.
Un leadership numérique reconnu
Selon Business Insider Africa, citant les données du Global Web Index, le Nigeria est le pays africain où les médias sociaux sont le plus utilisés, et le deuxième au monde, avec une moyenne de 3 heures et 46 minutes de connexion par jour. Pour le sénateur Nwoko, ce projet de loi n’est pas une attaque contre les plateformes ou les utilisateurs, mais une revendication d’équité :
« C’est une demande de respect et de reconnaissance du statut du Nigeria en tant que leader mondial de l’engagement numérique. »
Il ajoute que le Nigeria mérite, comme d’autres pays tels que les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Inde ou l’Allemagne, d’avoir des bureaux nationaux pour ces plateformes. Avec plus de 220 millions d’habitants et un fort taux d’engagement numérique, ces entreprises influencent la politique, l’opinion publique, l’entrepreneuriat, l’éducation et le divertissement. Mais sans présence locale, faire appliquer les lois sur la protection des données ou résoudre des litiges devient complexe.
Vers une régulation accrue des blogueurs
Le projet de loi prévoit également des mesures pour les blogueurs nigérians. Il exige qu’ils disposent d’un bureau vérifiable, tiennent un registre de leurs employés, et soient membres d’une association nationale reconnue, dont le siège doit se situer à Abuja. L’objectif est de garantir la responsabilité et le professionnalisme dans leurs activités.
« Les implications juridiques de leur absence sont tout aussi préoccupantes », a déclaré Ned Nwoko.
« Sans bureaux physiques, l’application des lois, la résolution des litiges et la protection des droits des utilisateurs sont rendues plus difficiles. »
Pour le sénateur, les plateformes de médias sociaux sont devenues des écosystèmes puissants :
« Nous ne pouvons pas continuer à avoir une situation où des individus opèrent de manière anonyme, diffusant parfois de fausses informations, sans structure ni responsabilité. À l’instar des médias traditionnels, les blogueurs doivent être dûment enregistrés et réglementés pour garantir le professionnalisme, la transparence et la responsabilité. »
Une question fiscale cruciale
Ned Nwoko, également avocat et président de la Commission sénatoriale sur les réparations et le rapatriement, a souligné l’enjeu fiscal : ces entreprises et blogueurs devront, une fois enregistrés, s’acquitter de leurs obligations fiscales dans le cadre de la réforme menée par le président Bola Ahmed Tinubu.
Il estime que le Nigeria perd chaque année au moins 10 milliards de dollars en revenus fiscaux, faute de bureaux locaux.
« Rien qu’au cours des dix dernières années, nous avons perdu plus de 50 milliards de dollars. Cela ne peut plus durer. Si ces entreprises veulent opérer au Nigeria, elles doivent payer leur juste part d’impôts comme toute autre entreprise. »
Des réserves au sein du Sénat
Le président du Sénat, Godswill Akpabio, a salué les recommandations du sénateur Nwoko, tout en exprimant quelques réserves. Il estime qu’il n’est pas nécessaire d’obliger les blogueurs à disposer de bureaux physiques vérifiables, car ils peuvent exercer leur activité depuis n’importe où.
Il recommande également de consulter des experts pour enrichir le projet de loi et garantir une législation équilibrée, respectueuse de la liberté d’expression et adaptée aux réalités de l’économie numérique.
Le Kenya sur la même voie
Cette initiative intervient alors que le Kenya adopte une démarche similaire. Un mois auparavant, le ministère kényan de l’Intérieur et de l’Administration nationale avait également demandé aux plateformes sociales d’établir des bureaux physiques dans le pays.
Cette décision fait suite aux manifestations massives menées par les jeunes kényans contre le projet de loi de finances 2024, aujourd’hui abandonné, qui proposait des taxes sur des produits essentiels comme l’huile de cuisson ou les serviettes hygiéniques.
Les réseaux sociaux, en particulier TikTok et X, ont joué un rôle clé dans la diffusion des manifestations, notamment via le hashtag #RejectTheFinanceBill2024, qui a enregistré plus de 4 millions d’impressions en quelques jours.
Entre liberté d’expression et régulation
Au Kenya, l’article 34 de la Constitution garantit l’indépendance des médias et interdit toute ingérence gouvernementale. Au Nigeria, l’article 22 reconnaît le rôle des médias dans la responsabilisation du gouvernement, mais il ne garantit pas explicitement la liberté de la presse ni son applicabilité.
Comparé à des pays comme le Kenya ou l’Afrique du Sud, le cadre légal nigérian reste plus fragile. La liberté des médias y est souvent liée aux objectifs de l’État, ce qui la rend plus vulnérable à l’ingérence.
Tandis que les utilisateurs des réseaux sociaux craignent une atteinte à la liberté d’expression, les législateurs assurent que ces projets de loi visent à créer un espace numérique plus sûr, à lutter contre la désinformation, à faire respecter les lois locales et à garantir l’équité fiscale.
Écrit par Kosisochukwu Charity Ani