Le 3 février 2025, l’émission nigérienne Presse Plus a été brusquement suspendue par le gouvernement du général Abdourahamane Tiani, sans aucune explication officielle. Un événement s’inscrivant dans le contrôle d’une sphère médiatique nigérienne, de plus en plus sous pression.
Suite au coup d’État du général Abdourahamane Tiani, le 26 juillet 2023, destituant le président élu, Mohamed Bazoum, le Niger a pris un virage autoritaire. Dès son arrivée au pouvoir, le général Tiani s’est proclamé « président du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie », lors de sa première allocution télévisée. Depuis, des mesures liberticides ont été adoptées, notamment concernant la liberté de la presse. Le 29 janvier 2024, le ministre de l’Intérieur nigérien a suspendu, par décret, les activités de la Maison de la Presse. Pour remplacer cette organisation de médias indépendante, le Ministre a annoncé la création d’un nouveau comité de gestion des médias dirigé par le secrétaire général du ministère de l’Intérieur. Un grand pas en arrière pour le Niger.
Malgré quelques tensions avec les médias, sous le gouvernement de Mohamed Bazoum, la protection des libertés de la presse était assurée. Lors de son élection à la présidence en 2021, il affirmait son engagement dans la défense de la liberté d’expression et de la presse en s’opposant à la censure. Ce discours avait même été soutenu par des réformes législatives.
Le 27 avril 2022, la Maison de la Presse du Niger saluait l'initiative de Mohamed Bazoum, de dépénaliser les délits de diffamation et d’injure, alors régis par la loi sur la cybercriminalité. Celle-ci rendait les journalistes bien trop vulnérables à d’éventuelles accusations arbitraires. Souleymane Brah, secrétaire à la communication de la Maison de la Presse, saluait cette décision : « on a toujours dénoncé cette loi (...) comme une loi liberticide.[…]. Beaucoup de confrères ont été interpellés, comme Moussa Aksar. Le gouvernement a compris qu'il y a une nécessité d'aller vers la promotion de la liberté de la presse au Niger ».
La liberté de la presse au Niger en net recul
Aujourd’hui, deux ans après le coup d’État et l’arrestation de Mohamed Bazoum, la situation de la presse au Niger connaît une chute vertigineuse. Elle a reculé à la 80ème place du classement de Reporter sans frontières, perdant ainsi 19 places par rapport à 2023 (61e).
Dans cette dynamique, la sphère médiatique nigérienne fait l’objet d’une vague de contrôle, par le gouvernement nigérien depuis le coup d’État. Les médias internationaux tels que France 24, RFI et BBC ont notamment été interdits dans le pays. Les atteintes à la liberté de la presse au Niger touchent également les médias locaux. Le 17 janvier 2025, le ministre de la communication nigérien a suspendu la chaîne de télévision Canal 3 TV et son journaliste Seyni Amadou. Il a eu pour seul tort d’avoir présenté un baromètre mesurant les performances des ministres.
Si la chaîne a été rétablie, cet événement représente une attaque à la liberté de la presse, mais également à la liberté d’opinion. L’absence de justificatifs et de transparence sur l’arrêt de l’émission Presse Plus, survenue le 3 février dernier, atteste du recul des libertés et de la démocratie.
La mainmise sur l’information au Niger ne se limite pas à la censure de grands groupes médiatiques comme Canal 3. Le gouvernement de Tiani emploie également des méthodes ciblées sur les individus en exerçant des pressions sur les journalistes directement.
Le journalisme au Niger : une profession sous tension
En arrivant au pouvoir, Abdourahamane Tiani expliquait vouloir rétablir l’ordre et combattre l’insécurité. Toutefois, en ce qui concerne les journalistes, l’insécurité n’a jamais été aussi grande. Depuis le coup d’État, les exemples d’arrestations arbitraires de journalistes prolifèrent.
Le 30 septembre 2023, Samira Sabou blogueuse et journaliste nigérienne est arrêtée au domicile de sa mère à Niamey. Selon Amnesty International, le lieu de détention de la journaliste est resté inconnu pendant 7 jours, avant que son avocat et son mari aient pu la voir. Très rapidement, le 11 octobre, Samira Sabou est inculpée pour « production et diffusion de données susceptibles de troubler l’ordre public. »
Plus récemment, en novembre 2024, le journaliste nigéro-ivoirien, Serge Mathurin Adou est également inculpé, sans réelle preuve. Il est accusé d’avoir porté « atteinte à la sûreté de l’État » au Burkina Faso, pays voisin et ami du Niger.
Face à ces phénomènes, Drissa Traoré, secrétaire général de la Fédération Internationale des Droits Humains, apporte un constat pragmatique : « La longue liste d’attaques contre des journalistes au cours de l’année écoulée témoigne de la détermination des autorités à restreindre la liberté de la presse et le droit d’accès à l’information ». Cette montée en puissance de l’autoritarisme au Niger a des effets certains, sur la psychologie et l’activité professionnelle des journalistes locaux. Tchima Illa Issoufou, correspondante de la radio BBC au Niger, a confié avoir été menacée par les autorités nigériennes, l’accusant de « déstabiliser le Niger ».
Ces intimidations et pressions exercées par le gouvernement nigérien tuent le journalisme local ainsi que tout espoir démocratique. Plusieurs journalistes nigériens ont confié qu’ils s’autocensuraient par peur de représailles. À ce sujet, les conséquences de ce contrôle durci de l’information se font ressentir sur la population. Les nigériens ont de plus en plus de mal à accéder à des informations fiables et non transformées par le gouvernement d’Abdourahamane Tiani. Ce flou informationnel est également un terreau fertile pour manipuler l’opinion des nigériens dans l’objectif de glorifier le gouvernement en place dans l’imaginaire collectif.
La liberté de la presse en déclin dans d’autres pays d’Afrique
La dégradation de la situation au Niger n’est pas un phénomène isolé. Des cas de figure similaires sont visibles dans d’autres pays d’Afrique, aux caractéristiques plus ou moins proches du Niger.
Au Tchad, en amont des législatives qui se sont déroulées fin décembre dernier, 40 médias en ligne ont décidé de faire « silence radio » en protestation aux restrictions croissantes de leurs libertés. Les médias tchadiens ont dénoncé l’interdiction de la Haute Autorité des Médias et de l’Audiovisuel de publier des contenus vidéos ou sonores. Gérard Daliam, rédacteur en chef du N’Djam Post, témoigne : « C’est incompréhensible. C’est injustifié. Cette décision-là, va en contradiction avec la loi 31 de 2018, et maintenant le président de la HAMA dit que les médias en ligne n’ont pas le droit de diffuser des podcasts et des vidéos, mais cette loi 31, elle est faite pour qui ? ».
Le 23 janvier 2025, les organisations de la société civile africaine (OSC) ont fait part de leur « profonde préoccupation » au sujet des droits humains et des journalistes en Éthiopie. Selon la Fédération Internationale pour les Droits Humains (FIDH), la situation des journalistes en Éthiopie ne cesse de s’empirer. L’ONG dénonce des actes de harcèlement extrajudiciaire, des campagnes de diffamation, d’intimidation, de menace, des arrestations et des détentions arbitraires ainsi que des agressions physiques contre les journalistes.
L’oppression des médias en Afrique ne se limite donc pas au seul cas du Niger. On observe un phénomène global à l’échelle du continent, bien que des pays comme la Mauritanie et la Tanzanie connaissent une amélioration de la situation de la presse.
La situation de la presse au Niger s’est donc considérablement dégradée depuis le coup d’État du général Abdourahamane Tiani. Les autorités nigériennes, par des moyens d’actions liberticides, contribuent à l'érosion des libertés fondamentales de la presse. Ce phénomène va de pair avec un Niger qui se referme sur lui-même, tout en mettant la pression sur sa société civile entière.
Ainsi, la volonté des autorités de contrôler l’information pourrait lui éclater au visage, à mesure que la répression du gouvernement s’intensifie. En durcissant son contrôle, le Niger développe son opposition, ce qui l’oblige une nouvelle fois à renforcer ses limitations. Il convient donc de se demander comment le pays sortira de ce cercle vicieux et quelles sont les autres professions qui en feront les frais.