En novembre 2024, une rumeur sordide a enflammé TikTok avant de se propager à l’ensemble de la sphère médiatique : Aisha Suleiman, une adolescente de 16 ans, aurait empoisonné son ex-petit ami et quatre de ses amis en leur préparant une « soupe au poivre » mortelle.
L’histoire, virale sur les réseaux sociaux, affirmait que la jeune fille aurait agi par vengeance après sa séparation avec Emmanuel Elogie, 19 ans. Ce dernier, selon la rumeur, aurait partagé ce repas avec quatre amis, tous décédés. L’affaire a rapidement provoqué une vague d’indignation en ligne, amplifiant les appels à la vengeance.

Une rumeur qui déclenche une chasse à l’homme
Malgré ses tentatives pour se défendre, Aisha Suleiman a été désignée coupable d’office sur les réseaux sociaux. Dans une déclaration publique, elle a affirmé qu’Emmanuel Elogie avait placé une prime de 500 000 ₦ sur sa tête, l’accusant de les avoir empoisonnés avant de succomber.
Très vite, la rumeur a dépassé le cadre numérique. Une foule en colère, galvanisée par la désinformation, s’est mobilisée pour la retrouver et lui infliger une justice expéditive. Consciente du danger, Aisha a tenté de se réfugier au poste de police afin de déposer plainte. Mais en chemin, elle a croisé une foule déchaînée prête à la lyncher. La police de l'État d'Edo est intervenue à temps pour lui sauver la vie in extremis, la plaçant en détention pour sa sécurité.
Une enquête qui rétablit la vérité
Le père d’Aisha, témoin direct des événements, a raconté avoir vu une foule furieuse près de la place du marché, transportant des bidons d’essence pour incendier sa maison et brûler vive sa fille.
Face aux accusations, Aisha a fermement nié avoir préparé le moindre repas. Son alibi a été corroboré par le père de l’une des victimes, qui a affirmé qu’Aisha ne s’était jamais rendue sur les lieux du drame. En réalité, au moment des faits, elle se trouvait à Iyakpi, tandis que les décès sont survenus à Afashio, une localité différente.
L’autopsie a fini par écarter l’hypothèse d’un empoisonnement. Selon les médecins légistes, les cinq décès sont dus à l’inhalation de fumées toxiques émanant d’un générateur défectueux. À la suite de cette révélation, toutes les charges ont été abandonnées et Aisha a pu regagner son domicile.
Un cas emblématique des dangers de la désinformation
L’affaire illustre un schéma récurrent de désinformation, où des rumeurs non vérifiées prennent une ampleur incontrôlable, attisant la violence populaire et mettant des vies en danger.
Un certain Ezenna Japan, accusé d’avoir propagé les fausses accusations sur les réseaux sociaux, fera face à des poursuites judiciaires. Son rôle dans la diffusion de ces rumeurs aurait pu coûter la vie à Aisha.
Malgré l’officialisation de son innocence, des internautes restent convaincus de sa culpabilité. Certains commentaires recueillis sur TikTok témoignent de cette méfiance persistante :
- Mavin🥶😈 : « Faites sortir la fille en premier, je l’attends ! »
- Expensive_monet : « Peu importe ce qu’on dit, Aisha a tué ces garçons ! »
- Poseidonh4 : « Ce n’est pas un travail d’avocat… Les avocats déforment tout ! »
D’autres internautes, en revanche, réclament des excuses publiques pour la jeune fille :
- Yelnats🥰🥰🥰 : « Aisha mérite des excuses de la part des créateurs de contenu. »
- Gift Sweet 9Life : « Beaucoup de gens meurent à cause des fumées de générateurs défectueux, mais les médias sociaux ont choisi d’imposer une autre version des faits. »
Une tragédie parmi tant d’autres
L’histoire d’Aisha Suleiman n’est pas un cas isolé. Le Nigeria a une longue histoire de lynchages collectifs déclenchés par la désinformation. Parmi les précédents dramatiques, on compte :
- L’affaire Aluu 4, où quatre étudiants ont été lynchés en 2012 après de fausses accusations de vol.
- David Imoh, tué en 2022 à Lagos par une foule en colère.
- Deborah Samuel, une étudiante lynchée et brûlée vive en mai 2022 à Sokoto pour un prétendu blasphème sur WhatsApp.

Un fléau qui menace la justice et les droits humains
La propagation incontrôlée de fausses informations constitue un défi majeur pour les sociétés modernes. Au Nigeria, comme ailleurs, ces rumeurs compromettent le principe fondamental de la présomption d’innocence, particulièrement dans un pays où l’inefficacité des forces de l’ordre alimente la justice populaire.
Si les citoyens ont le devoir de signaler les crimes aux autorités, nul n’a le droit de rendre justice par lui-même. Selon les principes du droit, toute personne est innocente jusqu'à preuve du contraire et doit bénéficier d’un procès équitable.
Selon une étude d’Amnesty International, intitulée « Instantly Killed », les cas de violence collective ont considérablement augmenté au Nigeria ces deux dernières décennies. Entre 2012 et 2023, l’organisation a recensé 555 victimes de lynchages à travers 363 incidents de justice populaire.
Un appel à la vigilance sur les réseaux sociaux
L’histoire d’Aisha Suleiman illustre un danger croissant : la capacité des réseaux sociaux à transformer une rumeur en une menace mortelle. Aujourd’hui, c’était Aisha. Demain, cela pourrait être n’importe qui.
En l’absence d’une intervention policière rapide, Aisha aurait été tuée pour un crime qu’elle n’a pas commis, uniquement parce qu’une fausse information a été relayée et amplifiée sans la moindre vérification.
Cet épisode rappelle une nécessité urgente : les utilisateurs de médias sociaux doivent faire preuve de discernement et s’assurer de la fiabilité des informations qu’ils partagent. Dans un monde où une simple rumeur peut coûter une vie, la vigilance est un devoir collectif.
Article rédigé par Kosisochukwu Charity Ani