Journaliste en République Centrafricaine depuis plus de 10 ans, Rocard Maleyo est un des fact-checkeurs emblématiques du pays. Soucieux de faire valoir la véracité des faits dans le monde de l’information, il est aujourd’hui à la tête de l’association Actions Médias Développement (AMD).

En Centrafrique, la désinformation fait rage depuis plusieurs années, compliquant grandement le rôle des journalistes. Dès 2019, Rocard Maleyo se dédie à la lutte contre ce phénomène, bien ancré dans le pays. Panorama de la vie d’un journaliste en Centrafrique.

Rocard Maleyo démarre sa carrière à La Voix de la Kémo, radio communautaire de Sibut, au centre du pays. De 2013 à 2019, il est correspondant pour Radio Kdèkè Luka, couvrant la crise sous tous ses aspects.

« C’était l’occasion pour moi de reporter tout ce que vivaient les populations comme atrocités et violations des droits humains ».

C’est le début d’une intensification de la désinformation sur le territoire. Pour rappel, dans les années 2010, la Centrafrique connaît une crise politique favorisant un terreau fertile pour les manipulations médiatiques et la diffusion rapide de récits erronés. Moment clé de sa carrière, le journaliste centrafricain rentre à Bangui en septembre 2019, où l’organisation Internews le forme à la méticuleuse discipline du fact-checking.

Nouveau savoir en main, un autre défi commence, celui du lancement d’Actions Média Développement. Créée avec le concours de confrères de l’Association des Fact-Checkers centrafricains (AFC), l’association vient répondre au besoin de renforcement de l’esprit critique de la population face à ce phénomène en ligne, qui n’est pour l’heure pas encore réglementé par la loi nationale. Cette entreprise résulte d’une longue réflexion, sur l’état de dégradation alarmant du monde médiatique en Centrafrique.


« Mes deux proches collaborateurs sont morts dans les mêmes circonstances »

« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus que de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »

La citation du fondateur de l’éthique journalistique, Albert Londres, illustre parfaitement les défis du fact-checking en Centrafrique aujourd’hui. Fournir la vérité, rien que la vérité, dans un pays où selon monsieur Maleyo

« la désinformation est d’abord étatique »

expose grandement les journalistes. La sécurité reste ainsi à ce jour, une préoccupation majeure. Sujet délicat, cela vient compliquer le travail des reporters sur le terrain. Sur place, l’insécurité est couplée à un manque d’accompagnement.

« Du coup, les journalistes sont tenus en tenailles par trois forces : ceux qui tiennent le pouvoir, ceux des groupes armés, et ceux des puissances mondiales qui interviennent dans le pays. » Déplore-t-il.

Dans un élan de sincérité, Rocard Maleyo se livre sur l’expérience la plus difficile de sa carrière :

« Mes deux proches collaborateurs, Jean Saint Claire Makagbossokoto et Georges Ouapure Nzénzé sont morts dans les mêmes circonstances, sans être malades. […] Jusqu'alors, les causes sont restées cachées et cela nous inquiète. On se pose des questions. À qui le prochain tour ? »


Jean Saint Claire Makagbossokoto est décédé le 21 février 2022. Selon ses proches, il aurait été empoisonné en revenant au pays. Selon des informations du Comité de protection des journalistes (CPJ), il aurait rencontré une personne liée à la société Wagner Group quelques heures précédant son décès. Georges Ouapure Nzénzé est, lui, décédé le 6 janvier de cette année lors d’un scénario similaire. Il rentrait alors d’une mission de presse à l’étranger. Tous deux étaient fact-checkeurs, directeurs de publication et responsables faisant partie du Consortium des Journalistes Centrafricains pour la Lutte Contre la Désinformation (CJCLD).

Les enjeux de la vérification des faits dans la région sont d’abord sécuritaires et juridiques, mais également économiques :

« […] Ceux qui sont en face disposent de plus de moyens afin d’activer la machine de la désinformation, or nous disposons de moyens très limités. Ensuite, il n’y a pas de cadre formel de protection juridique pour nous. »

Enfin, le manque de technologie peut, lui aussi, constituer un frein. Toujours dans la question des moyens, l’utilisation de l’intelligence artificielle est par exemple d’une importance majeure pour lutter à armes égales sans se faire distancer.


Recommandations d’un journaliste centrafricain


Ancien du métier, pour le journaliste rien ne vaut la vérité des faits et le dialogue pour assurer sa protection dans un milieu sécuritaire et juridique hostile :

« Les pressions et les menaces, on en reçoit presque tous les jours. Nous nous sommes inscrits dans une dynamique de dialogue avec tous les acteurs qu’ils soient du gouvernement, de l’opposition ou des puissances qui interviennent dans le pays. […] »

Il ne perd pas espoir quant à l’idée d’un journalisme responsable émergeant, par le fact-checking. Pour ce faire, l’équipe de Rocard Maleyo se base sur des informations aux sources crédibles et vérifiables. Ne pas afficher de position éditoriale est également un premier pas vers un journalisme juste et équitable.

« Nous traitons les différents sujets avec l’équilibre nécessaire afin de ne pas souffler sur la braise des conflits. Ces stratégies, même si elles ne marchent pas à 100 %, elles nous mettent néanmoins à l’abri de poursuites. » Enchérit-il.


Si chercher ses informations sur place est le mode opératoire historique du journaliste, l’avènement d’Internet et des réseaux sociaux permet des recherches poussées en ligne. Le fact-checking se base ainsi sur des méthodes de monitoring, comme la recherche d’images inversées.

L’avenir du fact-checking africain vu par Rocard Maleyo

L’impact du fact-checking sur l’opinion publique en Centrafrique serait de plus en plus positif :

« Avant, les gens n’étaient pas préoccupés par cela, mais par la force d’un travail sérieux, les consommateurs de l’information commencent à percevoir l’importance de la vérification des faits. »

Ce qui assure un avenir prometteur à la méthode dans la région.

De manière plus générale, l’expert de l’information a des ambitions pour le procédé sur l’ensemble du continent. Ce, comme une mutualisation des efforts par un réseautage au niveau régional, mais aussi une mobilisation des ressources financières sur l’Afrique, pour répondre efficacement au défi de la désinformation.

« Les usines à trolls mettent beaucoup de moyens pour parvenir à leurs fins, pour des réponses efficaces, il faut aussi des moyens adéquats. »

Le concept étant encore récent, Rocard Maleyo soutient l’importance d’une généralisation de la pratique à l’ensemble du milieu médiatique.

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Au cours des années à venir, le fact-checking africain devra faire face à différents défis contre la désinformation : empêcher l’ingérence de grandes puissances étrangères, mais aussi continuer de soutenir la liberté de la presse, pour laquelle le combat peut aujourd’hui être mortel.